« On sème des graines dans la terre pour en semer dans les esprits »

Pour les quatre Jardinières masquées (Hélène, Joachim, Emmanuel et Martin) l’expérience humaine a dépassé le mouvement. Certains partent en vacances ensemble, font des soirées, des jeux. Joachim est désormais en couple avec une jardinière masquée. 

Planter des légumes en centre-ville, se réapproprier l’espace public. À Tours, le mouvement des Jardinières masquées a émergé pendant le premier confinement. Pour se perpétuer, il se transforme en association. Quatre jardinières et jardiniers masqués racontent ce choix.

Faire pousser des plantes comestibles en ville : tel est l’objectif premier des Jardinières masquées, qui, tous les week-ends, à même le sol ou dans des bacs, sèment des graines au sein de la ville de Tours. Pour perdurer et continuer à prendre de l’ampleur, à l’aube de l’année 2022, le mouvement citoyen se transforme en association. Quatre Jardinières masquées, Hélène Amary, Joachim Pasquier, Emmanuel Boivier et Martin Calet retracent l’histoire de ce choix. 

Pour comprendre l’émergence du mouvement, il faut faire un petit retour dans le temps : premier confinement, printemps 2020. Les Couturières masquées, fabriquant des masques en tissu, rencontrent un succès illimité. Ce qui inspire le futur « noyau dur » du mouvement, raconte Martin Calet : « les premiers membres se sont dit qu’il y avait un créneau à prendre au niveau de l’initiative citoyenne ».  Un petit groupe de personnes lance des actions tous les week-ends. Des citoyens bravent le confinement et sèment des graines de plantes comestibles dans les rues, les parcs publics, aux pieds des arbres et des immeubles. 

Des actions vite populaires

Au moment où il est interdit de sortir, ce mouvement permet d’être dans l’action : en promouvant le comestible en ville par la désobéissance civile, les Jardinières se réapproprient l’espace public. « On voulait être dans l’humain, créer de l’interaction. On a fait un appel sur Facebook et on a vite eu du monde. » En moyenne, 15 à 20 personnes répondent présent chaque week-end.

Pour les quatre Jardinières masquées, la bonne réception de ces actions et la forte participation tiennent du fait qu’elles répondaient à un manque. « Les gens avaient envie de sortir et de remettre les mains dans la terre » explique Emmanuel Boivier. L’expérience est révélatrice de l’investissement et la motivation des gens : « s’il y a un besoin local, les volontaires affluent ».

Pendant neuf à dix mois, les Jardinières plantent un peu partout. Puis le choix des lieux s’affine : dans certains endroits, les parterres ne sont pas entretenus par les habitants, dans d’autres ils sont vandalisés. Elles se concentrent alors sur trois endroits : l’île Balzac, la place de Strasbourg et la Gloriette.

Perdurer par le passage en association

Ce qui fonctionnait très bien par la force collective, notamment la mutualisation des objets et des matériaux (terreaux, palettes etc…) a atteint ses limites, raconte Hélène Amary : « on se retrouvait parfois avec une scie, une pelle pour 15 personnes. Emmanuel a dû acheter des clous par exemple ». La constitution en association permettra de dépasser ces limites matérielles. Tout en créant un cadre, avec des interlocuteurs désignés. Selon les Jardinières, c’est un passage obligé pour faire perdurer le mouvement et fidéliser les citoyens.

Le dernier chantier, le nettoyage des bacs place de Strasbourg, date de novembre. « On a mis un point final au mouvement citoyen juste après, en participant à une conférence Ted Talks sur le thème Parenthèse(s) ( 00:48:00) à Orléans. Nous allons reprendre les actions sous forme d’association, pour déposer, cadrer, écrire le projet et foncer. » résume Joachim Paquot. Cela permettra de donner de l’ampleur au mouvement et d’organiser plus de chantiers et d’actions. Une réunion est prévue début janvier pour valider les statuts de l’association, puis l’activité devrait reprendre début février.

Faire bouger les lignes au niveau municipal

La force de l’idée tient aussi dans sa reproductivité : désormais, à l’initiative des mairies, des légumes poussent sur les parterres municipaux du rond-point de la Rotonde, des potagers sont apparus autour du CCCOD, et les jardins partagés de La Riche invitent les passants à se servir. « Par la désobéissance civile, on a pris les devants, ça a fonctionné. Constatant la réussite et la réception positive, les élus et les mairies ont repris l’idée » constate Joachim, aussitôt complété par Hélène « elle a germé, c’est génial ! On sème des graines dans la terre, pour en semer dans les esprits ».

Le mouvement a entraîné l’émergence de nouvelles questions publiques : comment faire du compost en ville sans attirer les nuisibles par exemple. La question de la contamination des sols aux métaux lourds aussi, contournée par l’utilisation de bacs. Pour Hélène, « en passant directement à la pratique, nous avons posé ces nouvelles questions ». Le passage en association permettra d’ouvrir le dialogue, par la mise en lien des « référents » avec les élus et les techniciens salariés de la mairie.

Lisa Darrault

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