“Avec la régie de quartier, je me suis retrouvé dans l’économie solidaire de manière naturelle”

Mohamed Rhoulam, administrateur et membre historique du Cré-sol

Comment définir l’économie solidaire ? Nous sommes allées à la rencontre des membres du Cré-sol, pour donner la parole à ceux qui la font. Dans le deuxième épisode de cette série, nous nous sommes rendues chez Mohamed Rhoulam, administrateur historique du Cré-sol, à Orléans.  

Installons-nous en bas, on sera plus tranquilles !” lance Mohamed Rhoulam au pied du chêne centenaire qui domine le jardin, avant de se diriger vers le sous-sol. Entièrement réaménagé en studio, il fait aussi office de lieu festif, comme l’indiquent les cartons de vin pétillant sur les étagères. Installé à table,  un café à la main, il replonge dans ses souvenirs. 

Tribu. “Pour comprendre où j’en suis aujourd’hui, il est nécessaire de savoir d’où je viens, ce qui m’a construit. Je vais donc commencer par le tout, tout début…” Il naît en 1950, au nord-est du Maroc, à Tanakraramte, au sein d’une tribu berbère. Dans un petit village, au cœur d’une vallée entourée de montagnes, près de Fès et de Meknès. Comme son père travaille dans l’armée française, il grandit à la caserne : “A l’école, à cette époque, on avait des cours en français le matin, et en arabe l’après-midi. J’étais en lien avec la France dès mon enfance. ” Il quitte ses parents tôt, à l’âge de quinze ans, pour passer son baccalauréat option automobile à Meknès. 

Après son enfance au Maroc, il découvre la France, en 1970 à 20 ans. “Au Maroc, c’est comme si, on était des oiseaux enfermés dans des cages. L’arrivée en France, c’est l’ouverture de la cage. J’y ai découvert la liberté d’expression.” S’ensuit une jeunesse militante, engagée politiquement. 

Une jeunesse mouvementée. Il débarque à Orléans, où il vit toujours, dans le cadre de ses études à l’Ecole supérieure transport énergie et propulsion (ESTEP). Pendant plusieurs mois, un copain l’entraîne à la découverte du pays : “J’ai fait de belles rencontres : celle de ma femme, Marie-Jeanne.” Fêtard à l’époque, il s’assagit rapidement, poussé par sa femme et son école. “ J’ai eu un déclic : j’ai commencé à m’intéresser à ce qui se passait autour de moi, à me rendre utile.” 

Pendant 10 ans, il fait son école de la pratique démocratique à l’Union nationale des étudiants du Maroc et se responsabilise : il y découvre les débats d’idées. Il démarre une thèse, stoppée par l’arrivée de son fils en 1981. A l’apogée des mouvements ouvriers, il crée une association de lutte pour les travailleurs immigrés. 

En 1982, à la naissance de leur fille Nadia, Mohamed et Marie-Jeanne pensent  retourner vivre au Maroc. Mais l’engagement politique de Mohamed, mal perçu dans le pays, les contraint à rester en France : il renonce alors au milieu militant, pour se tourner vers un milieu associatif plus calme, au contact des gens. 

C’était la meilleure chose à faire, de m’impliquer avec les gens de manière directe, de leur rendre service au jour le jour. »

Mohamed Rhoulam, administrateur historique du Cré-sol.

C’est par l’association Convergence à la Source  (quartier populaire d’Orléans) qu’il découvre cette autre manière d’agir. Le projet porte sur l’expression sociale et culturelle des différentes communautés résidentes . Il apprend à participer à la vie de la société, aider les gens qui souffrent, le respect aussi. “On cherche à vivre avec ce qui nous unit : l’universel, c’est la pratique de tous les jours de l’économie solidaire. Mettre la citoyenneté au profit de tout le monde, c’est la différence entre citoyenneté et nationalité : une citoyenneté active. ” 

Son projet de cœur, celui qui le porte toujours, émerge en 1991. L’association est consultée par la municipalité pour la création d’une régie de quartier. Les membres s’engagent dans la démarche participative, et interrogent les relations entre habitants, associations et pouvoir, pour créer un projet commun. La Régie se constitue d’une commission, où élus, propriétaires des HLM et habitants sont représentés. “C’est la dynamique de l’économie solidaire : le point de départ, les besoins des habitants. A la recherche de sens, je me suis retrouvé dans l’économie solidaire d’une manière naturelle.” Tout en gardant en tête que “ (l’)on peut régler beaucoup de problèmes au niveau local, mais seule une orientation politique globale permet de généraliser ces changements. ” 

« On était au coeur des réflexions et des actions mondiales.« 

Mohamed Rhoulam.

Rencontres de l’économie solidaire. Pour participer à cette expansion, et créer un réseau, Mohamed, via les régies de quartier, participe à de nombreuses rencontres. Le deuxième forum européen des régies de quartier à Strasbourg, le réseau national en 1997, où il représente les régies et l’inter réseau de l’Économie solidaire (ES). Il se rend aussi au premier symposium du Brésil, regroupement mondial de l’ES, où est établie la déclaration internationale de l’ES. “Je l’ai vécue dans la pratique, et j’en ai été le promoteur aux niveaux national et international. Ascendant, puis descendant. On était au cœur des réflexions et des actions mondiales. ” 

Acteur de l’économie solidaire à tous les niveaux, de l’international au local, Mohamed fait partie des acteurs historiques du Cré-sol. Mohamed s’y positionne en “personne ressource”. Il y a vingt ans , “on s’est retrouvés à Blois avec les créateurs historiques du Cré-sol, pour répondre à la question : comment créer une finance solidaire ?” En 2002 est né ce “réseau de réseaux”, Volonté commune de personnes qui naviguaient dans le milieu, et venaient de toute la région : Blois, Châteauroux… 

S’il fait toujours partie d’associations comme Convergence à la Source, ou le Cré-sol et le MES (Mouvement pour l’Economie Solidaire), Mohamed a levé le pied. A 70 ans, il rédige ses mémoires, dans une démarche de transmission.

Et pour aller plus loin : l’économie solidaire selon Mohamed Rhoulam, en vidéo
« Les côtés économique et social deviennent des outils pour aider au développement de la citoyenneté et de la solidarité dans le territoire. » Rencontre avec Mohamed Rhoulam, à Orléans.

Texte, vidéo et photo : Lisa Darrault

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