La revue de presse de fin d’année (#1)

La longue page de l’année 2020 va enfin pouvoir se tourner. Difficile à caractériser, à résumer en quelques mots, nous vous proposons une synthèse non exhaustive, à la fois conclusion, mais aussi rappel de temps plus anciens, et aperçu des possibilités pour la suite. Cette revue de presse rassemble des exemples de vécus, de sensibilités, et aussi quelques armes d’autodéfense.
Bonne lecture !  

Des outils pour comprendre notre époque

Pour caractériser cette époque, et celle qui pourrait advenir, on retiendra des néologismes scientifiques, rassemblés par Maxime Brousse dans l’article Les sept mots de la fin du monde (We Demain).Une manière originale et positive de partager les paroles de chercheurs : des néologismes, illustrés de pictogrammes et d’une courte définition. Ils soulèvent la multiplicité des défis, et leurs oppositions. 

💡 Plantationocène (l’ère des planteurs) désigne le passage de l’agriculture traditionnelle à un système basé sur l’effort des esclaves et le travail exploité (monocultures et terres clôturées).
💡 Molysmocène (l’ère des déchets) est utilisé par les ONG pour sensibiliser sur la gestion de déchets, le continent de plastique ou les scandales liés au recyclage.

Cet article prend à bras le corps un sentiment d’incompréhension générale, que la crise mondiale sanitaire a fait grandir. À qui donner sa confiance ? La méfiance vis-à-vis du gouvernement croît, et les médias redoublent d’intensité dans leur lutte contre la désinformation. Ainsi, à la sortie du film Hold-Up, de nombreux articles de fact-checking (vérification des faits) ont immédiatement contré les informations non vérifiées par le réalisateur.
👉 Les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie (Les Décodeurs)  

Une analyse différente

Reporterre prend position différemment, en proposant la vidéo du youtubeur Partager c’est sympa, Qui sème le vent récolte la tempête, « contribution pour y voir plus clair ».
Le youtubeur explique que le documentaire soulève des questions qu’on se pose tous. Abus d’autorité, exacerbation des problèmes par le confinement (manque de personnel dans le service public)… beaucoup de ces problèmes de fond sont vrais.
Sa position est claire : il décrypte les outils cognitifs qu’utilise le réalisateur pour nous faire adhérer à sa thèse. Volontairement, le youtubeur ne reproduit pas le schéma habituel : pas de fact checking, ou de décrédibilisation méprisante, de jugement. Une analyse, éclairée, et peut-être éclairante, sur la situation. Pourquoi en est-on arrivés là, comment prendre du recul par rapport à ces deux camps qui s’affrontent, depuis sa diffusion : les défenseurs de la théorie, qui adhèrent au documentaire, et ceux qui le dénigrent. Une explication efficace, en 15 minutes, qui comprend un guide d’autodéfense pour décrypter les théories du complot.

Au lieu de relever les fausses informations présentées tout au long du film, le youtubeur Partager c’est sympa décrypte la naissance du phénomène, et propose une analyse de la situation.

🥊👓 L’autodéfense intellectuelle en 7 parties 

D’autres outils existent, fournissant des armes pour forger sa propre opinion. C’est en donnant ses premiers cours d’initiation à l’esprit critique à des élèves de terminale que Sophie Mazet a l’idée d’en faire un livre, le Manuel d’autodéfense intellectuelle. 
Le petit livre passe en revue les formes de rhétoriques visant à influencer le lecteur à son insu. Amusant, original et facile à lire, une petite pépite qui fait du bien, et apprend ou réapprend à forger son esprit critique.
Et pour ceux qui n’en auront pas assez, le tome 2, Autodéfense intellectuelle (le retour), a tout juste 3 mois et demi. 

Une méfiance légitime, qui trouve sa source dans les faits

De nombreux faits ont accru ce sentiment de méfiance vis-à-vis des gouvernements. Les scandales sanitaires sont une réalité, qui ne cesse d’être rappelée par de nouvelles enquêtes ou révélations.
C’est ainsi que le titre XXI, spécialiste des reportages au temps long, qui se détache de l’actualité dans ses choix éditoriaux, s’est fait rattraper par celle-ci, pendant la préparation de son dernier numéro.
🦠 Dans son édito Hasards de calendrier, Léna Mauger nous raconte. Une enquête sur le scandale sanitaire du Dengvaxia de Sanofi, lancée bien avant l’apparition du Covid-19, est soudain entrée en résonnance : “ quand la pandémie nous a plongés dans le brouillard, l’auteure s’est inquiétée. Devait-elle poursuivre l’écriture ? Son histoire n’était-elle pas “datée” ? “Au contraire” ! A-t-on répondu. le présent nous rattrapait, l’avenir nous écrasait.” Résultat ? Une couverture, frappante, qui joue sur cet effet miroir.

La Une du XXI n°52 (automne 2020)

Ci-gît l’amer ou que faire du ressentiment ?

Au cours de ses dernières interviews, la psychanaliste et philosophe Cynthia Fleury revient très bien sur le lien entre cette perte de confiance dans les institutions, le gouvernement et l’État, et l’émergence de théories du complot
Interrogée à l’occasion de la sortie récente de son essai Ci-gît l’amer : guérir du ressentiment, par Guillaume Erner, à France Culture, le 5 octobre, elle explique : « on voit très bien qu’il y a un sentiment de quelque chose où on est de nouveau victime, du sort, mais aussi d’un État qui est incompétent« .
Son entretien chez Nicolas Demorand, à France Inter le 20 novembre, est plus centré sur le complotisme : »[c’]est le récit parfait pour ce grand temps d’incertitude, cela vient sécuriser par le pire. Ce qui est particulier, car on a une explication mais elle est absolument terrible.« 

Cynthia Fleury interviewée par Nicolas Demorand, à France Inter le 20 novembre

Gouvernement, État, ces institutions sont aussi la police, qui n’est pas toujours là pour protéger ses citoyens.
Dans ces exemples devenus trop nombreux, prenons celui que Léna Mauger relève dans la seconde partie de son édito : pour la préparation du dernier numéro, l’historien et archéologue François-Xavier Fauvelle, est interviewé ( Black Lives Matter est le produit de l’histoire de l’Afrique, Maria Malagardis). Cet entretien est en préparation quand l’Afro-Américain George Floyd est assassiné à Minneapolis par un policier.
Deuxième actualité qui ressurgit, et résonne, dans un numéro aussi fort et marquant que cette année 2020. Ce qui amène Léna Mauger à conclure son édito : “ces hasards ne sont pas si troublants. XXI s’attache au temps long, aux lames de fond. Parfois, elles resurgissent sous forme de tempête. Nous tentons de les explorer, de nous donner le temps de réfléchir, de mettre en question l’insatiable appétit des humains.” 
Elle illustre l’importance des journalistes, et des médias, pour informer, et permettre de prendre du recul. Mais aussi pour dénoncer ces formes d’abus, comme l’a fait récemment Loopsider (média vidéo qui émerge en 2018), qui dénonce les fausses déclarations de policiers concernant l’interpellation (en fait tabassage en règle) du producteur de musique Michel Zecler, au sein de son propre studio, en publiant la vidéo choc.  

L’identité visuelle de l’édition spéciale des assises du journalisme, autour du Covid.

Une problématique forte qui s’est retrouvée sur le devant de la scène toute l’année : la place des journalistes, pour défendre les citoyens, mais aussi dans cette période de pandémie.
📆 « Informer au temps du covid » était le thème exceptionnel des assises du journalisme, qui se déroulent chaque année à Tours. Le format, un peu particulier de cette édition des 1er et 2 octobre (jauge limitée et certains intervenants en visio-conférence) a permis de soulever de nombreux thèmes, dont celui de la liberté de la presse
Au cours de la table ronde Quand la pandémie sert à museler la liberté de la presseChristophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), et les représentants de ses bureaux dans différentes régions du monde, dressent un état des lieux de « quand le virus fait taire les journalistes ». Avec un point spécial sur Khaled Drareni, journaliste algérien, et en prison depuis 8 mois pour être l’un des visages du mouvement de protestation Hirak. Il couvrait notamment les manifestations dans la capitale. Toutes les vidéos de cette édition spéciale sont à retrouver sur la chaîne des Assises.

Seule solution, l’action ? 

Et enfin, le chef de l’État, Emmanuel Macron, et ses promesses non tenues, avec l’exemple de la convention citoyenne.
Trahison que Reporterre dénonce, en rappelant les retours en arrière du gouvernement. Tant d’exemples existent que le média publie, le 14 décembre, un article réunissant tous leurs précédents focus sur le démantèlement des différentes mesures. 
Dans ce contexte, il semble ne rester aux citoyens qu’un seul recours pour se faire entendre dans l’urgence de cette lutte climatique : le boycott, ou les actions de désobéissance civile. Ainsi, plusieurs membres de la convention citoyenne ont boycotté la dernière rencontre, pour dénoncer le manque d’ambition et le défaut de concertation du gouvernement. 
🖐 Un documentaire Arte tout frais, sorti le 20 novembre, illustre le chemin parcouru, ces dernières années, par les principaux acteurs de la désobéissance civile en France (ANVCOP-21 et Alterniba) : Désobéissant⸱e⸱s ! 
Nous suivons les jeunes activistes dans leurs actions, pendant leur travail avec les Gilets Jaunes, ou encore au cours de leurs déplacements pour aller se former dans d’autres pays, où les mouvement de contestation sont plus avancés. Cette plongée dans l’action et l’intimité révèle ce qui naît aujourd’hui du sentiment d’urgence, éprouvé par une génération qui invente d’autres formes d’engagement.  

Une fin d’année qui célèbre le vivant 

Et toutes ces raisons, ces faits, conduisent plusieurs revues et acteurs, en cette période de fêtes de fin d’année, à exposer et valoriser le vivant. Voici les coups de coeur du Cré-sol, sur ce thème, idées de cadeaux, ou simples découvertes à feuilleter en bibliothèque.  

Renouer avec le vivant, hors série (Socialter)

« (…)Difficile de ne pas tomber dans les multiples pièges que nous tend le « sentiment de nature », cette idéalisation un peu naïve éprouvée par une humanité devenue citadine. Comment en finir avec cette Nature protégée, exploitée ou révérée ? Et si, en réalité, il était temps d’en finir avec la Nature pour enfin renouer avec… le vivant ? (…) « 
Dans le hors-série Socialter Renouer avec le vivant, le philosophe Baptiste Morizot, exceptionnellement rédacteur en chef, propose une voie philosophique et pratique à emprunter. Auparavant disponible en pré-commande sur Ulule, il est désormais disponible en dans tous les kiosques.

Animal, Livre journal (la Relève et la peste)

« Primatologue, philosophe, journaliste, avocat, président d’ONG… animent avec force nos textes afin de nous raconter l’envers du décor du peuple animal. Des dernières découvertes en terme d’intelligence, d’émotion et de culture en passant par le trafic d’espèces sauvages ou encore la captivité animale et bien d’autres sujets, ce livre dresse un constat alarmant sur le monde animal.Dans moins de 20 à 30 ans, ce monde féérique qu’est le peuple animal n’existera plus, anéanti par l’Homme et le réchauffement climatique (…) » 
Le cinquième livre-journal de la Relève et la Peste est disponible directement sur leur site, ou en kiosques. 

La tribu du vivant, par Nants et Mouts (Nus et Culottés)

« Un mag qui regarde le monde par les yeux du vagabond : dans les interstices.(…)👉 Un mag qui dresse des ponts entre vie sauvage, vie vagabonde et vie sédentaire. Pour faire tribu avec tout le vivant.
👉 Un mag qui tisse des liens entre les êtres et nous embarque dans son aventure. Défis à relever, appels à témoigner, idées à insuffler… Vous y contribuerez !
Prêt à se reconnecter ?
« 
Les préventes du premier numéro de Nans et Mout (Nus et Culottés) sont closes, mais celles du second numéro sont en ligne

Le making-off

Cette revue de presse a été écrite par Lisa Darrault, premier exercice d’une longue série, avec le soutien fidèle de Nathalie Picard. Elle a aussi été construite, analysée, et débattue avec l’équipe au complet, Nathalie Fierfol, Alice Oechsner, Catherine Legrand et Mickaël Laclé. 

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