Vers des territoires hautement citoyens

 

Armel Le Coz, co fondateur de Démocratie Ouverte est un des membres à l’origine du programme Territoire Hautement Citoyen. Nous sommes allés à sa rencontre pour vous présenter son rôle dans la démarche régionale “Démocratie permanente en région Centre Val de Loire”.

 

Qui tu es ? Comment en êtes vous arrivé à faire cette proposition de la démarche et de la Tournée Citoyenne ?

 

Je suis designer de l’École de Design de Nantes. Avec le temps, je me suis aperçu que les outils de design pouvaient, en plus de concevoir des produits, aider à la conception des politiques publiques. J’ai donc développé un intérêt pour l’innovation démocratique, les civic tech portés par des responsables associatifs, des élus comme Charles  Fournier, et pas mal d’autres comme lui. On a créé ensemble un groupe “Démocratie Ouverte” pour aller vers plus d’innovation démocratique. Pendant un moment, je suis parti faire un tour de France pendant 6 mois pour aller à la rencontre des élus locaux qui faisaient de la politique de manière innovante, ce qui nous a amené à produire le programme Territoire Hautement Citoyen. C’est une activité de laboratoire pour inventer et tester in situ des nouvelles formes d’implication dans les territoires. C’est dans ce cadre qu’un partenariat avec la région Centre s’est fait.

 

Est-il évident d’instaurer cette démarche participative ? Quels sont les obstacles et freins auxquels vous vous heurtez ?

Non, ce n’est pas facile parce qu’on vient questionner et bousculer une institution qui est forcément lourde et lente à transformer : le Conseil régional avec des milliers de personnes, de postures. Le plus compliqué, c‘est qu’il y a des citoyens déjà engagés mais aussi une grande partie qui se “complaisent” dans une forme de consommation et de délégation des politiques publiques et qui se disent “je ne me sens pas co responsable de m’engager”. Cette démarche demande un changement profond du côté de l’institution et du citoyen

 

Concernant les freins, il y a une difficulté à mobiliser de manière importante en nombre des citoyens dans les grands rendez-vous de la Tournée citoyenne. Il y a certaines fois où ça marche, à Orléans par exemple. Dans d’autres, une vingtaine de personnes sont présentes alors qu’on en espérait plus. On cherche de nouveaux formats pour mobiliser davantage.

Il y a aussi des difficultés en interne à la collectivité, du côté des politiques et des élus concernés par la démarche. Pour certains, il y a un véritable portage politique de la démarche mais de manière inégale : certains élus le portent fortement et d’autres avec plus de questionnements.

C’est avec l’administration qu’il y a le plus de difficultés : certains pensent que la démarche va leur rajouter du travail, sachant qu’il y a déjà une raréfaction du temps disponible et des moyens financiers. L’administration est déjà sous pression.

Il y a deux façon de voir ça : oui c’est quelque chose à faire en plus donc c’est  impossible de le rajouter. Mais c’est aussi une possibilité de réinventer la manière de faire au quotidien pour gagner du temps ; une opportunité de s’organiser différemment en impliquant les citoyens afin qu’ils prennent leur part pour alléger le travail des collectivités sur des questions d’intérêt général. Dans ce cas, le rôle de l’institution ce n’est plus de faire pour le citoyen mais de faire avec lui ou bien d’être dans une posture d’animateur, de laisser faire les citoyens. Par exemple, les Fabriks sont co animés par les acteurs du territoire qui le connaissent. C’est donc s’appuyer sur des forces du territoire pour animer. Les agents doivent accepter de ne pas tout contrôler. Les deux s’enrichissent : les acteurs du territoire et de la région. On a du mal à faire prendre de manière massive, ça marche sur certains exemples et endroits, mais pour faire changer les choses en profondeur ça demande de la formation, des exemples pas toujours évident.

Un autre frein est la plateforme web democratie-permanente.fr qui a du mal à être appropriée par les agents de la région et des difficultés à être animée de manière correcte pour que les citoyens y contribuent.

 

 

Comment va se faire la pérennisation de la démarche ? Est-il envisagé qu’il y ait une autre tournée ?

Toutes les idées et les productions lors de la Tournée et des Fabriks seront alimentés dans une délibération de la région : comme une loi à l’échelle régionale. Il va y avoir une loi régionale, un vote par l’assemblée régionale qui va entériner un certain nombre de propositions. Au delà de ça, des choses ont commencé : des formations des agents en interne, l’utilisation de la plateforme cap collectif, la création d’une équipe dédiée à la démocratie en région, l’acculturation à ces questions auprès des agents etc. Sur le long terme, c’est une transformation des acteurs de la région sur ces questions là qui doit s’enclencher. Sur la manière de pérenniser, on a testé des méthodes, certaines marchent bien par exemple le fait d’être en immersion dans les territoires, on travaille avec les acteurs du terrain, ça va continuer à fonctionner ; le fait de fonctionner en équipe projet en se basant sur le “faire” ça fait parti de la culture pratique à partir de laquelle les élus peuvent développer d’autres compétences. Le cabinet est resté dans une posture de stratège qui tranche et l’administration propose et réalise quelques unes, ou délègue à des acteurs. Actuellement dans la démarche on fait des choses très concrètes “on met les mains dans la cambouis”. D’avoir construit une équipe projet qui fait vivre la démarche on se rend compte que c’est comme ça que ça marche. Pour pérenniser l’action, le fonctionnement en équipe projet va être réutilisé.

 

Une telle démarche se déroule-t-elle dans d’autres régions ?

Dans d’autres régions ça n’existe pas, il n’y a pas d’autres région avec un vice président délégué à la démocratie, avec un budget dédié à ça. Déjà ça en soit c’est inédit. Quelque chose qui peut se rapprocher, avec les logiques d’immersion, c’est l’innovation publique opérée par la 27ème région. Avec Démocratie Ouverte, on travaille ensemble sur les sujets d’innovations. Il y a une proximité en termes d’idées et de méthodes assez forte.

 

As-tu le sentiment que les instances vectrices de participation citoyenne s’intègrent dans la démarche ? (conseils citoyens, CVL, Codev…)

Oui, mais plus ou moins, dans la Tournée avec le camion on va voir certaines de ces instances, on les invite, on a certaines avec lesquelles on fonctionne bien. On a invité l’ensemble des Codev de la région à s’intégrer plus dans la démarche. On essaye d’associer un maximum mais ça prend plus ou moins bien. Le conseil régional de la jeunesse et le CESER s’intègrent bien. La première étape au début à été de se saisir de ces deux instances. Les saisir en leur laissant de l’indépendance, tout en les associant. Leurs contributions sont les bienvenues et elles ont un espace et un rôle bien particuliers et importants. On essaye de s’améliorer en avançant.

 

 

Si tu devais faire un bilan de la démarche à ce jour quel serait-il ?

Globalement, le bilan est positif. C’est une aventure humaine qui se joue dans le sens ou j’ai trouvé à l’intérieur de la région d’autres personnes avec lesquelles on partage cette conviction d’une démocratie plus ouverte. Humainement, on vit des moments très forts mais on affronte les difficultés ensemble. Je trouve ça rassurant de voir le nombre d’initiatives qui existent. Même dans des territoires ou j’avais le sentiment qu’il n’y avait rien, en fait malgré ça, il y a énormément de choses qui s’y passent. Parfois, ces logiques de désertification renforcent la solidarité et rendent indispensables la créativité et l’innovation citoyenne. Souvent ce sont des choses qui passent sous les radars des médias et des citoyens. Je pense que le Conseil régional  l’a compris

Il y a deux enjeux : le premier, c’est de transformer la gouvernance de la région dans sa manière de construire les politiques publiques, ce qui est loin d’être gagné d’avance surtout en un an ; le second, c’est de permettre l’essor de toutes ces initiatives citoyennes et de les faire monter en impacts. La rédaction est en cours pour construire cet écosystème. Ça a déjà commencé avec les appels à projet “A vos idées” mais ça va encore prendre de l’ampleur. Je suis très confiant, la région va approfondir ces sujets là.

 

Autre chose à ajouter ?

Un des points importants, très demandé par les initiatives c’est de se former en réseau et de se faire connaître en région. Avec la région, on veut aller vers une cartographie des acteurs. C’est le prochain chantier, le moins compliqué, dans lequel la région a une légitimité.

Par la suite on va pousser la région à poursuivre ces formes d’immersion de terrain, on ne veut pas que ça s’arrête là. Si ça continue, ce ne sera pas forcément sous la même forme.

 

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