L’intérêt général, le CNFPT et le Cré-sol

En novembre, pendant le mois de l’ESS, le Cré-sol est intervenu sur la e-communauté Vie Associative du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) pour échanger sur l’outil « La Boussole stratégique au service d’un projet d’intérêt général ». À raison d’un article par semaine, ce partenariat nous a permis de rendre compte de notre exploration des enjeux liés à l’appropriation de cet outil par les structures d’intérêt général.

Le dernier article, sous forme d’interview aborde les questions suivantes :

LA CO-CONSTRUCTION DES TERRITOIRES AVEC LES ASSOCIATIONS  
Entretien avec Stéphane CAILLAUD, chargé de mission au CRE-SOL
Dans  le  cadre  du  mois  de  l’ESS,  nous  avons  eu  le  plaisir  de  bénéficier  de  l’expertise  de l’association CRE-SOL. Maëlle DINÉ et Stéphane CAILLAUD, tous deux, chargés de mission au  CRE-SOL  nous  ont  présenté différents  éclairages pour  nous  aider  à  nous familiariser avec  les  repères  essentiels  de  la réflexion  stratégique  appliquée  à  la  co-construction des territoire avec les associations. Pour  clôturer  cette série  d’articles,  nous  vous  proposons  aujourd’hui  un entretien  avec Stéphane  CAILLAUD.  C’est  l’occasion  de  revenir  avec lui  sur  les  différents  aspects  qui structurent un projet d’intérêt général dans le cadre d’une démarche stratégique ainsi que sur les défis actuels auxquels doivent faire face les associations.

Quels sont les principaux enjeux d’intérêt général dans le cadre du secteur de l’ESS que vous identifiez aujourd’hui ?

Au-delà de la seule entrée ESS, le principal enjeu d’intérêt général est celui de la transversalité de l’action associative. Le tissu associatif est un filet vital pour la société. En tant qu’instrument qui fabrique de la vitalité démocratique, elles sont un creuset de l’engagement citoyen et de la production de lien social. Elles contribuent également au développement d’une économie plus durable et plus juste, écologique et socialement responsable.

Quels sont les principaux défis auxquels, selon vous, sont confrontées les associations ?

Ce sont des défis qui relèvent de la baisse de l’engagement des bénévoles, des mutations des formes d’engagements des membres, de la baisse de la vitalité associative. A noter également, l’affaiblissement de la gouvernance, le fait d’avoir à agir et à évoluer dans un contexte mouvant et d’être soumises à l’accélération des transformations des formes d’accès et de construction de l’information.

Vous dites que les associations doivent faire face à de nombreuses mutations, pensez-vous qu’elles soient prêtes pour faire y face ?

Globalement, les structures associatives sont assez démunies pour apporter de nouvelles réponses à ces enjeux. Leurs contextes d’actions se complexifient et appellent à la créativité, à l’agilité mais leurs capacités d’innovation organisationnelle ne sont pas suffisamment renouvelées, ni même soutenues. Une forme d’injonction leur est adressée à produire plus efficacement de l’intérêt général, de l’utilité sociale sans qu’elles ne puissent trouver véritablement les conditions favorables aux changements qu’elles ont à opérer.

Quels sont les conseils que vous donneriez aux services des collectivités locales pour mieux travailler dans le cadre d’une démarche de co-construction des territoires avec les associations ?

Le premier conseil serait de multiplier les possibilités d’échanges avec les nombreux pionniers des logiques de co-construction développant des initiatives socio économiques innovantes dans les territoires. Un autre serait d’entretenir, d’enrichir, de développer ces 2 échanges en établissant des liens avec les promoteurs nationaux de ce mouvement, en particulier avec Le Rameau, laboratoire de recherche dédié aux alliances innovantes au service du bien commun. Depuis 2006, Le Rameau anime des démarches novatrices de co-construction, produit de la connaissance au travers de nombreuses publications, et teste des méthodes d’ingénierie, qu’il met à disposition de tous en open source. http://www.lerameau.fr/

Selon vous, par quoi est principalement impacté le modèle socio-économiques des associations ?

Une approche basée uniquement sur les résultats et les équilibres financiers ne permet pas de prendre la hauteur nécessaire à la formulation et au pilotage d’un projet d’intérêt général. Lors de la structuration ou l’adaptation de leur modèle économique, les associations sont invitées à dépasser l’approche purement financière pour prendre également en compte les richesses humaines et leur structure organisationnelle. Enfin, le fait associatif étant au centre d’une nouvelle donne où l’État ne fera plus tout, et où le marché ne pourra pas tout faire, il y a nécessité pour les associations à développer de nouvelles pratiques d’alliances.

Dans ce cadre, en quoi la stratégie est utile pour les associations ?

C’est utile pour se définir, pour mieux se situer, s’orienter et se donner les moyens de réaliser ses ambitions. Également, pour garantir des conditions d’exercice décentes aux parties prenantes du projet. Dans cette période de complexification, d’accélération des mutations, la pratique de l’Art de la stratégie n’est plus optionnelle quelle que soit le type et les finalités de l’organisation. Cela relève de la responsabilité sociétale des organisations que de se doter de compétences dans la pratique de cet Art.

Est-ce que selon vous, les associations sont suffisamment stratèges ?

Non, les associations ne pratiquent pas encore suffisamment l’Art de la stratégie. Bon nombre d’entre elles n’ont pas encore pris la mesure des mutations qui impacte le fait associatif. Ce faisant, ces structures n’ont pas encore intégré le fait d’avoir à se mobiliser pour faire évoluer leur culture pratique du « faire ensemble ». Ceci dit, ce sont des lacunes que l’on retrouve également dans beaucoup d’autres types d’organisations et d’institutions de nos territoires.

En quoi le management et la gouvernance peuvent-ils être impactées par la conduite d’une démarche stratégique ?

Cela peut aboutir à une remise en cause partielle ou totale des pratiques du management ou de la gouvernance en cours dans la structure. La pratique de l’Art de la stratégie est un exercice de transformation exigeant dont la réussite repose sur des éléments qui relèvent de la conduite de changement. Il est préférable que l’engagement de la structure dans de tels travaux se fasse en synergie avec l’ensemble des collèges et des parties prenantes. Il est aussi fréquent qu’après l’accompagnement, la structure retourne à son état antérieur. Dans ce cas, il convient de reconsidérer la démarche d’accompagnement sous l’angle de la conduite d’apprentissage organisationnel.

Existe-t-il une posture stratégique particulière ?

Il faut accepter de « lever le nez du guidon » et prendre du recul et de la distance par rapport aux seuls équilibres financiers. La posture stratégique consiste à accepter de questionner son projet et prendre le temps d’une véritable réflexion. Il faut voir cela comme un temps de remise en perspective, de prise de recul sur le pro jet. Il faut donc éviter deux travers : 1/ vouloir arriver trop vite aux solutions et 2/ poser dès le départ des postulats trop structurants. Le tacticien adapte son plan d’actions en fonction des conséquences qu’il envisage au 3 regard des changements de l’environnement interne et externe. Le stratège quant à lui définit l’avenir le plus souhaitable pour le projet, puis la trajectoire adéquate pour l’atteindre.

Dans un de vos articles, vous avez parlé du positionnement que doivent définir les structures porteuses d’un projet d’intérêt général, en quoi cela est important pour les associations ?

Ce point est le point charnière qui permet à la structure de situer la manière concrète dont celle va intervenir sur les enjeux d’intérêt général pour lesquelles elle est positionnée : comment elle répond à la finalité qu’elle s’est donnée ? Comment elle se situe dans son écosystème ? quelles sont ses missions ? quelles sont les activités qui découlent de ces missions ?

Vous avez indiqué également que les associations doivent avoir une ambition. N’est-il pas compliqué de demander à une association d’avoir une ambition quand sa principale préoccupation est souvent de trouver les moyens pour fonctionner ?

Oui, bien sûr que c’est compliqué de proposer, voir d’exiger cela. Mais définir son ambition est essentielle car cela représente la destination à atteindre à moyen terme du projet. L’ambition correspond à ce que l’association souhaite avoir réussi dans 3 à 5 ans et s’inscrit dans la visée transformatrice du projet. Une ambition clairement définie est le gage d’une adaptation perpétuelle aux contraintes, redonnant ainsi une liberté d’action à la structure pour arriver à ses fins. Finalement, sans ambition, il est difficile de cerner les leviers de financements de l’association car la communication auprès des financeurs repose essentiellement sur l’avenir du projet associatif. C’est aussi une donne fondamentale qui doit orienter la conception des dispositifs d’accompagnement sur des logiques d’accompagnement sécurisantes plutôt que fragilisantes.

Dans un contexte de raréfaction des aides publiques, quels sont les leviers économiques que peuvent actionner les associations ?

Identifier les leviers économiques revient à définir son modèle de ressources. Il en existe 7 qui sont classés en 3 logiques de mobilisation de financements :
contribution des membres : financement par les adhésions (cotisations)
revenus d’activités :
· prestation et valorisation de savoir-faire (ventes de produits et services, licences, droits d’utilisation…)
· opérateur de politiques publiques (convention de délégation de service public, appel d’offre…)
financement/solvabilisation par un tiers :
· financement public : subvention publique (subvention d’État, de collectivité…), abondement (co-financement public : FSE, institutions internationales…)
· financement privé : mobilisation privée (dons, mécénat, partenariats privés…), modèle mutualisé (co-investissement de fondateurs)

Selon leur fonction d’intérêt général (engagement collectif, recherche et développement sociétale, opérateur de solution), les associations font le choix d’un ou plusieurs modèle(s) adapté(s).

Quelle différence faites-vous entre alliances et partenariats  ?

Pour établir cette différence nous nous appuyons sur le référentiel de la coconstruction territoriale publié par le Commissariat général à l’égalité des territoires. Le terme « alliance » désigne le rassemblement d’acteurs de mondes différents – institutionnels, pouvoirs publics, 4 entreprises, associations, acteurs académiques, experts,… -, ayant pour objectif d’apporter des nouvelles solutions aux enjeux économiques, sociaux, environnementaux et sociétaux de leur écosystème. Quant aux partenariats, il s’agit des modalités particulières sur lesquelles ces alliances peuvent se construire : le mécénat, les pratiques responsables, la coopération économique et l’innovation sociétale. En fonction de leurs objectifs respectifs et de leur maturité, les partenaires peuvent ainsi définir le modèle le plus adapté à leur projet.

Les associations ont parfois du mal à s’ouvrir à de nouveaux partenaires tels que les entreprises privées, pensez-vous que cette situation soit en train d’évoluer ?

Oui, cette situation évolue, bon gré, mal gré. Les défis de transformation que les associations ont a relever les incitent à ouvrir leur champ partenarial. Ce décloisonnement progressif suscite de plus en plus de relations sur certaines filières ou des niches d’activité dans lesquelles l’ESS démontre une plus value certaine, notamment par sa capacité à toucher les populations solvables et non solvables, à mobiliser des travailleurs jugés “moins productifs”, à animer des territoires considérés comme moins dynamiques. Ces rapprochements révèlent des mutations importantes de notre système productif; d’une part l’ESS peut intervenir dans des secteurs plus capitalistiques; d’autre part les entreprises lucratives se préoccupent davantage de l’usage de leurs produits, fonction que l’ESS prend davantage en compte en tant qu’économie relationnelle. Une certaine vigilance s’impose néanmoins afin que les logiques commerciales et lucratives n’écrasent pas les logiques sociales, démocratiques et environnementales. Il est nécessaire d’accompagner l’établissement de ces partenariats dans leur phases de création, de pilotage et/ou d’évaluation, afin de contribuer à ce qu’ils soient équilibrés, durables et à forte utilité sociétale.

Peut-on réellement parler de stratégie d’alliances avec les entreprises ?

Compte tenu des définitions précédentes, oui, on peut réellement parler de stratégie d’alliance avec les entreprises.

Quel conseil donner aux associations pour faire évoluer leur stratégie d’alliances ?

  • Comprendre quels sont les différents types de partenariats existants, savoir différencier mécénat, pratiques responsables, coopération économique et innovation sociétale
  • S’inspirer des témoignages de nombreuses associations et entreprises et des facteurs clés de succès de leur partenariat, mais aussi les moments plus difficiles. Identifier le type de partenariat qui leur correspond, et les étapes pour le construire
  • Apprendre à évaluer l’impact d’un tel partenariat sur ses parties prenantes
  • Suivre le MOOC : Les partenariats qui changent le monde. Alliances innovantes entre entreprises et associations https://www.my-mooc.com/fr/mooc/les-partenariats-qui-changent-le-monde-alliances-innovantes-entre-entreprises-et-associations

Vous avez parlé dans votre dernier article de gestion des risques, en quoi cela est-il un point stratégique ?

Dès lors que l’on pose l’accompagnement comme un projet de service proposé aux associations, il est judicieux d’en concevoir l’ingénierie. Dans les multiples dimensions animant la conduite du projet vers son aboutissement, la pratique de la prévention des risques organisationnels, relationnels, est l’une de celles qui va orienter des choix facilitant sa réussite. Dans le cas d’un projet d’accompagnement conduit sur des bases de co-construction, l’attention porté au risques relationnels et organisationnels permet d’éviter des écueils rencontrés de façon récurrente : il s’agit des formes et des processus de la co-construction pour ce qui concerne les risques relationnels, et de l’état des ressources, des compétences, des stratégies de gestion, de l’expertise technologique pour ce qui concerne les risques organisationnels. Compte tenu des objectifs et de l’inévitable complexité des environnements de production de ces services, il y a un grand intérêt à ce que la gestion du risque soit considéré à sa juste mesure.

Selon vous, sur quoi devrait porter prioritairement l’évaluation des associations ?

Comme c’est une pratique en émergence et facilement sujette à polémique, nous préférons l’aborder en proposant de parler d’auto évaluation et en suggérant de s’appuyer pour cela sur le guides bonnes pratiques de l’ESS :

  1. Modalités effectives de gouvernance démocratique
  2. Concertation dans l’élaboration de la stratégie de l’entreprise
  3. Territorialité Intégration et contribution de l’ activité économique et des emplois dans les territoires.
  4. Politique salariale et l’exemplarité sociale, la formation professionnelle, les négociations annuelles obligatoires, la santé et la sécurité au travail et la qualité des emplois
  5. Lien avec les utilisateurs : bénéficiaires, clients, usagers…
  6. Situation de l’entreprise en matière de diversité, de lutte contre les discriminations et d’égalité réelle entre les femmes et les hommes en matière d’égalité professionnelle et de présence dans les instances dirigeantes élues
  7. Dimension environnementale du développement durable
  8. Éthique et déontologie

Pour revenir à la Boussole stratégique d’un projet d’intérêt général, n’y a-t-il pas un risque à vouloir traiter séparément les différents éléments de cette démarche (le positionnement, l’ambition, l’organisation, les alliances…) ?

Ce danger n’existe pas, en tout cas pas dans ce que propose le guide. S’ils peuvent être traités séparément pour produire un diagnostic, le processus complet de l’outil appelle à réaliser une phase d’analyse qui viendra compléter le processus. Dans cette phase, il s’agit de vérifier qu’il y a bien une cohérence entre les points cardinaux et engage à traiter l’ensemble de façon totalement transversale.

Vous nous accompagnez depuis plusieurs semaines dans le cadre du mois de l’ESS en nous apportant votre expertise et votre vision de la dynamique de co-construction au service de l’intérêt général, quelle est à présent l’actualité du Cré-Sol ?

Le 29 novembre prochain nous organisons une rencontre sur la thématique “Coopérations et territoires/Co-construction territoriale” avec la participation de Charles Fournier, vice-président du conseil régional Centre VaL de Loire, délégué à la démocratie, aux initiatives citoyennes, au développement rural, à la coopération et à l’égalité. C’est un temps de travail collectif pendant lequel soixante acteurs (pouvoirs publics, citoyen.nes, acteurs économiques, structures d’intérêt général) vont explorer le potentiel de développement du mouvement de co-construction dans notre région. En effet, il nous semble qu’aujourd’hui un ensemble de situations inédites nous invitent à considérer l’existence d’un carrefour des possibles portant ces dynamiques. http://coconstruction.cresol.fr/

Propos recueillis par Frédéric TESTANIERE, animateur de la e-communauté « Vie associative », le 23 novembre 2017.

S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires

CES ARTICLES
POURRAIENT VOUS INTÉRESSER